Le surmenage parental touche de plus en plus de personnes. Deux chercheuses belges viennent de publier un livre sur la question. Si avoir des enfants est une source de bonheur à bien des égards, il est rare que notre progéniture ne soit pas également une cause de stress et de tension, pouvant parfois même conduire à un véritable surmenage. Une évidence pour de nombreux parents, sans doute.
Sauf qu’il reste encore difficile de se départir de cette image, véhiculée par la société, d’une parentalité « forcément » épanouissante, heureuse, positive. En réalité, on culpabilise de ne pas être assez là pour ses enfants, de s’emporter pour des broutilles, malheureux parce qu’obsédé par le fait de devoir être un bon parent, bienveillant, attentif, disponible, tout simplement parfait.
Bien qu’irréaliste, ce modèle de perfection reste le but à atteindre pour certains parents. Ils s’obstinent alors à tout mener de front, sans relâche : cuisiner bio, local, de saison ; accompagner tous les enfants à leurs activités extrascolaires, superviser les devoirs, s’occuper des tâches ménagères, sans oublier d’être un employé efficace, un mari ou une femme aimante… Jusqu’au moment où l’élastique, trop tendu, lâche.
« Je n’arrive plus à gérer ma vie »
« En apparence, tout va bien : une vie de famille, de beaux enfants en bonne santé, un travail… mais en réalité, rien ne va. Je n’arrive plus à gérer ma vie, mes enfants, mon couple, tout m’agace, confesse Priscilla sur un forum. Je m’énerve en permanence, je ne fais plus rien, je ne cuisine plus, je n’aime plus travailler, je ne suis performante en rien. Je voudrais profiter des moments où je suis avec mes enfants, mais je finis par vouloir fuir et, quand ils ne sont pas là, ils me manquent. Je culpabilise de ne pas les donner à garder, mais je suis fatiguée de devoir tout gérer. »
Comme cette mère de trois enfants, de nombreuses personnes témoignent désormais plus ouvertement d’une réalité longtemps cachée : le burn-out parental. Cette affection semble connaître une croissance exponentielle et, contrairement à des idées reçues, toucherait à proportion égale les deux parents. Elle est décrite comme un syndrome à trois facettes : l’épuisement physique et émotionnel, la distanciation affective d’avec les enfants et la perte d’épanouissement et d’efficacité dans la parentalité.
Il s’agit d’un processus insidieux très souvent précédé par une phase dite de « burn-in » : le parent est pétri d’idéal quant à son rôle, il se surinvestit parfois jusqu’au sacrifice de soi, il en vient à négliger ses besoins personnels. Puis arrivent la frustration, la perte d’énergie et finalement le burn-out.
Sentiment de culpabilité
Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam, toutes deux docteures en psychologie et professeures à l’Université de Louvain en Belgique, viennent de clôturer six études de terrain sur le burn-out parental menées auprès de 3000 personnes. Ces travaux scientifiques ont abouti au livre Le burn-out parental, l’éviter et s’en sortir (Odile Jacob), qui sortira en librairie au Québec dans quelques semaines.
Ces travaux ont été motivés non seulement par des observations cliniques, mais aussi par des expériences personnelles : « J’ai moi-même fait un burn-out parental, confie Moïra Mikolajczak, mère d’un enfant. À l’époque, je n’avais pas mis de mots sur mes symptômes. Et c’est très problématique, car tant qu’on ne comprend pas ce qui nous arrive, on ressent un sentiment de honte, on n’ose pas en parler, y compris à ses proches. Je ne me reconnaissais plus, je n’étais plus la mère que je souhaitais être. Certains parents avouent aussi qu’ils auraient voulu en finir pour pouvoir se reposer, partir très loin sans laisser d’adresse, voire même auraient préféré, s’ils avaient pu, ne jamais avoir d’enfants, alors même qu’ils les aiment. »
Si chaque burn-out a son histoire — il peut arriver à la survenue du premier enfant comme du troisième, à une échéance plus ou moins éloignée de la naissance —, une caractéristique semble toutefois rassembler tous les parents touchés : « Ce sont souvent des personnes très perfectionnistes dans leur vie en général, et dans leur parentalité en particulier, explique Isabelle Roskam. Elles ne lâchent jamais rien, veulent être au top dans tout. Ce sont des gens qui ont généralement beaucoup d’exigences envers eux-mêmes et sont donc très attentifs à la pression exercée par la société. Quand ils sont en burn-out, ils n’ont plus le recul nécessaire pour se dire qu’ils ne sont pas obligés de mener plein d’activités tambour battant pour être de bons parents, et que ce n’est pas parce que leurs enfants ne font pas de la musique et trois sports différents, par exemple, que ceux-ci seront mal dans leur peau. »
Des pistes pour s’en sortir
Dans sa consultation à Lausanne, Gérard Salem, psychiatre et thérapeute de famille, voit arriver quotidiennement des parents dépassés. « C’est un phénomène de fond très familier que l’on observe depuis 30 ans, mais qui est devenu beaucoup plus flagrant depuis 10 ou 15 ans. Les gens viennent consulter soit parce qu’ils sont épuisés, hyperangoissés ou alors laissés à eux-mêmes dans un contexte social difficile pour toutes sortes de raisons. Nous sommes également dans une société qui prône l’individualisme, ce qui a pour conséquence d’isoler les gens, d’augmenter leur souffrance. »
Et quelles sont les approches pour s’en sortir ? « La première chose que l’on cherche à reconstruire, si possible, c’est la complicité coparentale », relève Nahum Frenck, pédiatre et auteur notamment du livre Familles, jamais tranquilles !, qui exerce également à Lausanne. « Parfois, cette complicité est en défaut et les parents peinent à communiquer au-delà des mots. »
La coparentalité représente la façon dont les parents, qu’ils soient ensemble ou séparés, coopèrent. Elle comprend aussi la notion de validation par le partenaire dans son rôle de père ou de mère. Cet aspect est d’autant plus important, aux yeux d’Isabelle Roskam et de Moïra Mikolajczak, qu’il s’agit certainement — à côté de la qualité de la relation entre parents et enfants et d’une difficulté personnelle à gérer le stress —, de l’un des facteurs de risque les plus prédictifs du burn-out.
Faire le deuil du parent parfait
Les deux psychologues belges listent également, dans leur ouvrage, toute une série de conseils pour prévenir le burn-out. Des stratégies sont ainsi présentées pour apprendre, par exemple, à gérer ses émotions par la relaxation ou la méditation, ou pour améliorer la relation avec ses enfants. On découvre notamment comment poser un cadre éducationnel réaliste qui n’épuise pas les parents, passer des moments de qualité à travers des activités qui font vraiment plaisir, ou encore couper court aux émotions négatives…
« Pour les personnes qui ont l’impression de pouvoir tomber en burn-out, nous avons également créé une application permettant d’analyser les risques personnels, explique Isabelle Roskam. Il s’agit d’atteindre un équilibre entre les facteurs de stress et ceux dits protecteurs, comme les relations épanouissantes ou les petits bonheurs quotidiens. Mais tout cela ne remplace évidemment pas une consultation. »
Enfin, dit-elle, il est fondamental de parvenir à faire le deuil du parent parfait. Car oui, il est possible d’être un bon père ou une bonne mère sans forcément rentrer dans un moule préétabli par la société et qui ne correspond à aucune réalité.
Sylvie LOGEAN